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Inconstitutionnalité des perquisitions administratives dans le cadre de l'état d'urgence II

Pénal - Procédure pénale
23/09/2016
Le Conseil constitutionnel estime qu'en ne soumettant le recours aux perquisitions à aucune condition et en n'encadrant leur mise en œuvre d'aucune garantie, le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée. Toutefois, les mesures prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent, dans le cadre de l'ensemble des procédures pénales qui leur sont consécutives, être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 24 juin 2016 par la Cour de cassation (Cass. crim., 21 juin 2016, n° 16-82.176, deux arrêts) de deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la constitutionnalité du 1° de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955  relative à l’état d’urgence (L. n° 55-385, 3 avr. 1955, JO 7 avr.), dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 15 avril 1960 (Ord. n° 60-372, 15 avr. 1960, JO 17 avr.).

Rappelons que ce texte détermine les mesures spécifiques pouvant être prévues par une disposition expresse du décret déclarant l’état d’urgence ou de la loi le prorogeant. Son 1° dispose que ce décret ou cette loi peut « conférer aux autorités administratives visées à l’article 8 le pouvoir d’ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit ».

Les requérants et l’association intervenante soutiennent que ces dispositions, en ce qu’elles permettent à des autorités administratives d’ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit, sans prévoir de garantie en ce qui concerne leurs motifs et leurs conditions, méconnaissent le droit au respect de la vie privée, l’inviolabilité du domicile, ainsi que le droit à un recours juridictionnel effectif. Ils soutiennent également que le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant les droits et libertés précédemment mentionnés.
 

Sur la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit


Le Conseil constitutionnel rappelle que la Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence. Il lui appartient, dans ce cadre, d’assurer la conciliation entre, d’une part, la sauvegarde des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figure le droit au respect de la vie privée, en particulier de l’inviolabilité du domicile, protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Il relève ensuite que les mesures prévues par les dispositions contestées ne peuvent être ordonnées par le ministre de l’Intérieur, pour l’ensemble du territoire où est institué l’état d’urgence, ou par le préfet dans le département, que lorsque l’état d’urgence a été déclaré et uniquement pour des lieux situés dans la zone couverte par cet état d’urgence. L’état d’urgence peut être déclaré, en vertu de l’article 1er de la loi du 3 avril 1955, « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».

Il considère toutefois, qu’en ne soumettant le recours aux perquisitions à aucune condition et en n’encadrant leur mise en œuvre d’aucune garantie, le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée.

Par conséquent et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, les dispositions du 1° de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 (précitée) méconnaissent l’article 2 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution.
 
  • Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité


Le Conseil constitutionnel observe que l’article 4 de la loi du 20 novembre 2015 (L. n° 2015-1501, 20 nov. 2015, JO 21 nov.) a donné une nouvelle rédaction à l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 (précitée), dont le paragraphe I fonde le nouveau régime des perquisitions réalisées dans le cadre de l’état d’urgence.

Or, dans sa décision n° 2016-536 QPC (Cons. const., 19 févr. 2016, n  2016-536 QPC, JO 21 févr.), le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution, les dispositions du paragraphe I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans cette rédaction, à l’exception de celles de la seconde phrase de son troisième alinéa relatives aux saisies de données informatiques.

Il en déduit qu’il n’y a pas lieu, en l’espèce, de reporter la prise d’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions contestées. Celle-ci intervient donc à compter de la date de la publication de la présente décision.

En revanche, la remise en cause des actes de procédure pénale consécutifs à une mesure prise sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et aurait des conséquences manifestement excessives.

Par suite, les mesures prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent, dans le cadre de l’ensemble des procédures pénales qui leur sont consécutives, être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
 
 
 
Source : Actualités du droit