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Détournement de fonds publics et exception de débet : une exception préjudicielle réservée aux comptables publics devant être soulevée <i>in limine litis</i> !

Pénal - Procédure pénale
07/01/2020

►L’exception préjudicielle de débet soulevée dans le cadre de poursuites du chef de détournement de fonds publics prévu par l’article 432-15 du Code pénal, justifiant le sursis à statuer par le juge répressif, doit être soulevée avant toute défense au fond ; au surplus, cette procédure ne peut bénéficier qu’aux seuls comptables publics et ne peut être invoquée par ceux qui sont susceptibles d’être déclarés comptables de fait par une juridiction financière.

C’est ainsi que statue la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 18 décembre 2019 (Cass. crim., 18 décembre 2019, n° 18-85.856, F-P+B+I).

Résumé des faits. Le gestionnaire et régisseur d’un collège a été cité devant le tribunal correctionnel pour avoir altéré frauduleusement la vérité d’un écrit ou de tout autre support de la pensée destiné à établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques, en l’espèce en falsifiant la signature du principal du collège sur trois documents, et fait usage de ceux-ci. Il a également été cité pour avoir, en sa qualité de dépositaire public ou d’un de ses subordonnés, détruit, détourné ou soustrait ou tenté de détruire, détourner ou soustraire, des fonds publics ou privés ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, des objets qui lui avaient été remis en raison de sa fonction, en l’espèce en utilisant à des fins personnelles l’argent liquide provenant de la participation financière pour les voyages scolaires et en réglant des dépenses personnelles à l’aide de fonds appartenant au collège pour un montant total de 41 058,67 euros.

Les premiers juges l’ont relaxé partiellement des chefs de faux et usage et l’ont déclaré coupable pour le surplus de la prévention et condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d’amende et cinq ans d’interdiction de tout emploi public.

En cause d’appel. Pour refuser de surseoir à statuer avant l’établissement d’un débet (somme due après un arrêté de compte) par la juridiction financière compétente, l’arrêt énonce que l’exception de débet devant s’analyser, selon les termes mêmes des conclusions du prévenu, en une exception préjudicielle, celle-ci, conformément aux dispositions de l’article 386 du Code de procédure pénale, aurait dû être formée in limine litis, et n’est pas recevable si elle est formée, comme en l’espèce, pour la première fois en cause d’appel.

A hauteur de cassation. Le prévenu faisait valoir que l’exception tirée de l’atteinte à la séparation des pouvoirs peut être invoquée pour la première fois en cause d’appel si bien que l’arrêt d’appel qui a refusé de surseoir à statuer avant l’établissement d’un débet par la juridiction financière compétente, s’agissant des dépenses faites par le prévenu, gestionnaire du collège, par la raison que cette exception préjudicielle aurait dû être soulevée in limine litis, a violé le principe de séparation des pouvoirs, l’exception préjudicielle pouvant être soulevée pour la première fois en cause d’appel.

Rejet du pourvoi. La Haute juridiction, énonçant la solution visée plus haut, considère que la cour d’appel a justifié sa décision. Elle relève par ailleurs que le prévenu, qui exerce les fonctions de régisseur d’un établissement scolaire, n’a pas, aux termes de l’article 13 du décret relatif à la gestion budgétaire et comptable du 7 novembre 2012 qui a abrogé le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, la qualité de comptable public (décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, relatif à la gestion budgétaire et comptable publique).

Particularité de l’exception de débet. Cette exception préjudicielle constitue une particularité procédurale de la poursuite du délit de détournement de fonds publics. Pour autant, toute personne entrant dans le champ d’application de l’article 432-15 du Code pénal ne peut se prévaloir de cette exception. Celle-ci, comme l’a précisé la Chambre criminelle dans un arrêt du 29 juin 2016, ne vaut que si le prévenu a la qualité de comptable public ou de dépositaire public (Cass. crim., 29 juin 2016, n° 15-83.598, F-P+B). Elle ne saurait, en conséquence, s’appliquer à un agent détaché du Trésor public, chef du service des finances de la mairie, qui doit être considéré comme un agent subordonné au sens de 432-15 et ne peut donc exciper de sa qualité de comptable public pour se soumettre à la procédure administrative préalable du débet (Cass. crim., 2 décembre 2009, n° 09-81.967, F-P+F).

Au sujet de la terminologie du délit de « détournement de fonds publics », rappelons, comme l’indique Nicolas Catelan dans le panorama de droit pénal des affaires publié en décembre 2019 (Panorama de droit pénal des affaires (2019), § 10, Lexbase Pénal, décembre 2019), que «la Cour devrait cesser de faire référence au détournement de fonds publics. Le texte vise indifféremment les fonds publics ou privés. Recourir à la notion de fonds publics entretient une confusion malheureuse : l’article 432-15 est une version aggravée des vol, abus de confiance et dégradation non pas tant car l’objet remis est public mais bien car il a été remis à un agent public dans le cadre de ses fonctions. Il n’est au demeurant pas imposé que les faits de détournements aient été commis à l'occasion de l'exécution de la mission de service public (Cass. crim., 11 juillet 2018, n° 18-80.264)».

Source : Actualités du droit