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Clauses illicites ou abusives : des annulations en pointillés mais des indemnisations accordées

Affaires - Droit économique
02/10/2019
Dans deux arrêts similaires, la Cour de cassation est venue détailler ce qu'elle entendait comme clause abusive ou illicite au regard des stipulations litigieuses des espèces. Elle se prononce en outre sur les possibilités d'indemnisation en cas d'atteinte à l'intérêt collectif des consommateurs. 
L’Union fédérale des consommateurs – Que Choisir (UFC) a assigné la société Direct énergie en nullité de clauses illicites ou abusives dans les conditions générales de vente d’électricité et de gaz en vigueur au 1er janvier 2013. De nouvelles conditions générales de vente sont entrées en vigueur en cours d’instance le 15 mai 2014.
 
La Cour de cassation avait à se prononcer sur le caractère illicite ou abusif des clauses litigieuses. Les magistrats répondent aux quatre moyens invoqués en confirmant, point par point, l’arrêt d’appel. La seule dissonance concerne l’indemnisation.
 
Tout d’abord, la cour d’appel refuse de supprimer les clauses litigieuses au motif qu’elles ont été remplacées en 2014, rendant la demande en nullité sans objet.
 
La Cour de cassation valide ce raisonnement. Elle relève que « la société avait substitué aux clauses contenues dans les contrats conclus sous l'empire des conditions générales en vigueur au 1er  janvier 2013, de nouvelles clauses notifiées à l’ensemble des clients concernés à compter du 15 mai 2014, de sorte qu'il ne subsistait aucun contrat en cours susceptible de contenir les anciennes clauses litigieuses, la cour d'appel en a exactement déduit que la demande de suppression portant sur ces clauses était irrecevable ». Un nouveau contrat suffit donc à faire échec aux demandes en annulation.
 
Par la suite, les juges d’appel rejettent une demande d’annulation d’une clause du contrat de remplacement du 15 mai 2014. Ils estiment licite la stipulation permettant une exonération de responsabilité de la société à l’égard du consommateur en cas de défaillance du gestionnaire en raison de la présence de deux relations contractuelles distinctes.
 
La Cour de cassation confirme là aussi cet argument en retenant l'existence de deux relations contractuelles. Selon son raisonnement, la présence d’une double relation contractuelle n’entraîne pas une limitation de la responsabilité de la société Direct énergie. Ainsi, « en instituant un contrat unique souscrit par le consommateur auprès du fournisseur d'énergie, qui reçoit mandat de son client de signer en son nom et pour son compte le contrat le liant au gestionnaire du réseau de distribution, seul tenu d'assurer l'exécution des prestations relatives à l'accès et à l'utilisation de ce réseau, le législateur n'avait entendu ni remettre en cause l'existence d'une double relation contractuelle unissant le consommateur à chacun des opérateurs ni modifier les responsabilités respectives de ceux-ci envers celui-là, la cour d'appel en a exactement déduit que la clause litigieuse n'avait pas pour effet de limiter la responsabilité contractuelle de la société, de sorte qu'elle n'était pas abusive ».
 
L’arrêt d’appel rejette également une demande en annulation d’une clause du contrat du 15 mai 2014 relative à des modifications contractuelles. Selon eux, « la modification de l'échéancier de paiement n'entraînait pas de modification des conditions contractuelles, de sorte qu'elle ne devait pas faire l'objet d'une information préalable du consommateur ».
 
La première chambre civile rejoint la position des juges d’appel, considérant que « l'éventuel ajustement des mensualités n'entraînait aucune modification des conditions contractuelles au sens de l'article L.121-90, devenu L. 224-10 du Code de la consommation, la cour d'appel en a exactement déduit que la clause litigieuse n'était pas illicite ».
 
Par ailleurs, ultime moyen, il est reproché à la cour d’appel de n’avoir pas fait droit à la demande en nullité d’une clause sanctionnant par des pénalités le manquement du consommateur son obligation de paiement alors que la clause réciproque relative au manquement du fournisseur était en pratique impossible à mettre en œuvre.  
 
La Cour de cassation ne relève, elle, aucun déséquilibre significatif rendant abusive la clause litigieuse. En effet, « la pénalité mise à la charge du consommateur faisait l'objet d'une pénalité réciproque à son profit en cas de manquement du fournisseur à ses propres obligations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, en a déduit qu'aucun déséquilibre significatif au détriment du consommateur n'était démontré ».
 
La première chambre civile confirme ainsi le raisonnement des juges d’appel.
 
Toutefois, contrairement à ce qui avait été décidé en appel, elle admet l’indemnisation de l’UFC, estimant que « l'action en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs est distincte de celle en suppression des clauses illicites ou abusives ».
 
 
Le second arrêt rendu par la même formation le même jour entre l’UFC et la société GDF Suez devenue Engie s’inscrit dans une logique similaire.
 
Tout d’abord, dans des termes identiques, la même première solution est retenue pour des contrats de décembre 2011 et septembre 2013 dont les conditions générales de vente ont été remplacées en juin 2014, octobre 2015 et janvier 2016.
 
La Cour rejette également une première demande en nullité. La cour d’appel avait retenu que « n'était pas abusive la clause par laquelle la société subordonne, en cours de contrat, l'exercice de son devoir de conseil relatif à l'adéquation du tarif à la consommation réelle du consommateur, à la sollicitation préalable de ce dernier ».
 
L’arrêt de cassation confirme cette position en soulignant « qu'il n'incombait pas au fournisseur d'énergie de vérifier spontanément, en cours de contrat, l'adéquation du tarif pratiqué à l'évolution des besoins de son client, mais uniquement de répondre aux sollicitations de celui-ci, la cour d'appel en a exactement déduit que la clause litigieuse n'était pas abusive ».
 
À l’instar de l’arrêt précédent, la cour d’appel avait également estimé non abusive la clause « selon laquelle le fournisseur pouvait s'exonérer de sa responsabilité à l'égard du consommateur en cas de défaillance du gestionnaire » en raison de la présence d’une double relation contractuelle.

Cet argumentaire fut une nouvelle fois validé en cassation puisqu’en « instituant un contrat unique souscrit par le consommateur auprès du fournisseur d'énergie, qui reçoit mandat de son client de signer en son nom et pour son compte le contrat le liant au gestionnaire du réseau de distribution, seul tenu d'assurer l'exécution des prestations relatives à l'accès et à l'utilisation de ce réseau, le législateur n'avait entendu ni remettre en cause l'existence d'une double relation contractuelle unissant le consommateur à chacun des opérateurs ni modifier les responsabilités respectives de ceux-ci envers celui-là, la cour d'appel en a exactement déduit que la clause litigieuse n'avait pas pour effet de limiter la responsabilité contractuelle de la société,
de sorte qu'elle n'était pas abusive ».
 
Toutefois, dans cet arrêt, la Cour admet une première annulation d’une clause litigieuse. Au visa de l’article L. 121-87, 8° devenu L. 224-3, 8° du Code de la consommation, elle estime que « l'offre de fourniture d'électricité ou de gaz naturel doit préciser, dans des termes clairs et compréhensibles, le délai prévisionnel de fourniture de l'énergie ». En l’espèce, le délai prévisionnel de fourniture de l'énergie n’était pas dans les conditions générales de vente mais dans les conditions particulières du contrat. Partant, « la clause litigieuse ne permettait pas au consommateur de connaître, avant la conclusion du contrat, le délai prévisionnel de fourniture de l'énergie ».
 
De même, alors que l’arrêt d’appel retenait que le défaut de réciprocité de pénalité infligée au consommateur en cas de retard de paiement ne créait aucun déséquilibre significatif, la Cour de cassation adopte un raisonnement inverse. Selon elle, « la pénalité encourue par le consommateur en cas de retard de paiement ne s'accompagnait d'aucune pénalité réciproque en cas de manquement de la société à son obligation principale de fourniture d'énergie, peu important son défaut de maîtrise du réseau de distribution, l'ampleur de ses contraintes techniques et la modicité de la pénalité infligée au consommateur ». Du fait de ce déséquilibre significatif, la clause litigieuse aurait dû être annulée.
 
Deux clauses sont ainsi annulées dans le second arrêt.
 
Enfin, à l’instar de l’arrêt concernant Direct énergie, les magistrats admettent l’indemnisation du demandeur précisant ici aussi que « l'action en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs est distincte de celle en suppression des clauses illicites ou abusives ».
 
 
Source : Actualités du droit