Retour aux articles

« Fack Ju Göhte » : le refus d'enregistrement pour caractère injurieux est-il justifié ?

Affaires - Immatériel
03/07/2019
La demande d’enregistrement de la marque « Fack Ju Göhte » a été rejetée par l'EUIPO dont la position a été confirmée par le Tribunal de l’Union européenne. Cependant, les conclusions de l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne ont pris le contrepied, estimant que le caractère injurieux ou vulgaire de cette marque n’avait pas été établi, dans un contexte social spécifique, à un moment donné.
Tout d'abord, une société de production a effectué une demande auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) d’enregistrement de la marque verbale « Fack Ju Göhte », titre d’un film allemand à succès, en tant que marque de l’Union européenne pour plusieurs produits et services. Cette demande a été rejetée car ce signe verbal a été considéré comme contraire aux bonnes mœurs. L’EUIPO a estimé que la prononciation des termes « Fack ju » était identique à celle de l’expression anglaise « Fuck you » et que, par conséquent, il s’agissait d’une injure choquante et vulgaire visant à titre posthume l’écrivain Johann Wolfgang von Goethe. Par la suite, la société a saisi le Tribunal de l’Union européenne aux fins d’annulation de la décision de l’EUIPO. L’arrêt du Tribunal a rejeté ce recours (Trib. UE, 24 janv. 2018, Constantin Film Produktion c/ EUIPO, aff. T-69/17, « Fack Ju Göhte », ECLI:EU:T:2018:27). Enfin, la société a saisi la Cour de justice de l'Union européenne, en arguant l’erreur dans l’interprétation et l’application de l'article 7, f), du règlement (UE) n° 2017/1001, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne, aux termes duquel sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont « contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs », ainsi que de la violation des principes de l’égalité de traitement, de sécurité juridique et de bonne administration. Les conclusions de l'avocat général ont été rendues publiques le 2 juillet 2019.

Un clin d’œil à la liberté d’expression. L’avocat général souligne que la liberté d’expression est manifestement applicable dans le domaine des marques, même si sa protection n’est pas l’objectif premier poursuivi par le droit des marques dont la fonction essentielle est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service.

La référence au contexte social précis pour apprécier les bonnes mœurs. Concernant l’appréciation des notions d’ordre public et de bonnes mœurs, l’avocat général mentionne que des éléments disctincts doivent être pris en considération. Pour l'analyse de la notion de bonnes moeurs, il précise qu’il est nécessaire de « se fonder sur un contexte social précis et sur des faits probants venant confirmer ou jeter un doute sur ses propres vues sur le point de savoir ce qui est conforme ou non aux bonnes mœurs d’une société donnée à un moment donné et non le seul signe verbal en dehors de la perception et du contexte social plus large ».

L'analyse factuelle de l'avocat général.  Allant plus loin dans sa démarche, l’avocat général relève que le film « Fack Ju Göhte », auquel fait référence la marque précitée, n’a soulevé aucune controverse à propos de son titre; le visionnage de film avait été autorisé à un public jeune; et pour terminer, que l’Institut Goethe s’en sert à des fins pédagogiques.

Une position divergant de celles de l'EUIPO et du Tribunal. L’avocat général achève son raisonnement et prend position en affirmant que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne censurant pas l’absence d’explications de la décision de l’EUIPO. D’autant plus que, dans sa pratique décisionnelle antérieur, l’EUIPO avait tendance à apprécier la notion de bonnes mœurs de façon assez libérale (EUIPO, déc. 28 mai 2015, aff. R 2889/2014-4, Die Wanderhure).
 
La Cour de justice de l'Union européenne devra trancher prochainement le litige.
 
Pour tout complément sur les signes exclus de la protection sur le droit des marques, se référer aux n° 2136 et suivants, de l’édition 2019 du Lamy Droit commercial.
Source : Actualités du droit