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Interprétation dans une langue non maîtrisée par l’accusé : violation du droit à un procès équitable

Pénal - Procédure pénale
31/08/2018
Dans un arrêt rendu le 28 août 2018, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) affirme qu’une interprétation en russe pour un Lithuanien jugé en Slovénie et possédant une connaissance limitée de cette langue, constitue une violation de son droit à un procès équitable.
Dans cette affaire, un Lithuanien résidant en Slovénie avait été inculpé pour vol qualifié, vol simple et tentative de vol de véhicule motorisé. Pendant les premiers stades de la procédure, tous les échanges, y compris sa communication avec son avocat commis d’office, lui furent interprétés en russe. Il fut condamné à une peine d’emprisonnement et fit appel de ce jugement, sans succès. Il décida ensuite de former un recours devant les juridictions internes, soutenant qu’il ne comprenait pas bien le russe. Ce grief fut rejeté par les juridictions internes, qui avaient considéré que le droit à un procès équitable avait été respecté, dans la mesure où le requérant ne s’était jamais plaint de ne pas comprendre le russe au cours de la procédure pénale, qu’il avait bénéficié de l’assistance d’un avocat avec lequel il communiquait également en russe et qu’il avait participé à son procès.

Le requérant se prévaut notamment devant la CEDH de la violation de l’article 6 (droit à un procès équitable), et plus précisément de la méconnaissance de son droit à bénéficier d’un interprète, car il n’avait compris ni la langue de la procédure, ni la langue d’interprétation. La CEDH relève plusieurs éléments lui permettant de constater qu’il y a effectivement eu une violation des droits du requérant.

Connaissance limitée de la langue par l’accusé

La cour signale d’abord qu’il est clair que les autorités slovènes, sachant que le requérant ne comprenait pas le slovène, ne lui ont jamais demandé s’il comprenait suffisamment le russe pour pouvoir efficacement assurer sa défense dans cette langue. La CEDH rejette l’argument du gouvernement slovène, qui s’était borné à affirmer que le russe serait largement parlé en Lituanie, ce qui aurait fait supposer aux autorités slovènes que le requérant connaissait suffisamment cette langue lors de l’attribution d’un interprète.

Aussi, la CEDH rappelle que, conformément aux dispositions de la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales, les autorités étaient dans l’obligation de déterminer le niveau de connaissance du russe du requérant avant de décider de lui fournir une interprétation dans cette langue. De plus, le seul fait qu’un accusé connaisse les bases de la langue d’une procédure ou, comme en l’occurrence, d’une troisième langue dont les services d’interprétation sont facilement disponibles dans l’État en question, ne doit pas faire obstacle à ce qu’il bénéficie d’une interprétation dans une langue qu’il comprend suffisamment pour exercer pleinement ses droits de la défense.

Par ailleurs, la cour remarque que le requérant n’a fait que quelques déclarations basiques en russe. Les allégations de la Cour constitutionnelle slovène selon lesquelles le requérant avait réussi à communiquer en russe avec ses avocats n’étant corroborées par aucun fait, la CEDH retient que celles-ci reposent plutôt sur une présomption que sur des faits concrets.

Situation de vulnérabilité de l’accusé et absence de plaintes

En définitive, la cour affirme que le manque d’information de l’accusé sur son droit à bénéficier d’une interprétation dans sa propre langue, combiné à sa connaissance limitée du russe et à la situation de vulnérabilité dans laquelle il se trouvait en tant qu’étranger faisant l’objet d’une procédure pénale, pouvait, selon elle, expliquer le fait qu’il ne se soit pas plaint. Toutefois, le manque de protestation de l’avocat sur ce sujet ne déchargeait pas non plus les tribunaux de leur obligation d’examiner dûment la question.

Il découle de tous ces éléments que le requérant n’a pas bénéficié d’une assistance linguistique lui permettant de participer activement à son procès, que celui-ci dans son ensemble est donc entaché d’un défaut d’équité, et que dès lors, il y a eu violation de ses droits.
Source : Actualités du droit