Retour aux articles

Régulation des plateformes et places de marché : le droit économique à l’épreuve de l’obsolescence programmée ?

Affaires - Droit économique
31/07/2018
Par une proposition de règlement du 11 avril 2018, la Commission européenne, prenant (enfin) toute la mesure du caractère désormais incontournable des plateformes, souhaite apporter davantage d’équité et de transparence dans leur fonctionnement. Cette proposition repose, de façon assez inédite en droit économique, sur une démarche de corégulation entre, d’une part, la Commission européenne et, d’autre part, les plateformes elles-mêmes afin de s’assurer que les mesures adoptées, qu’elles interviennent à titre ex ante ou ex post, conservent la plus grande pertinence possible malgré les évolutions technologiques à venir.
Dans une économie toujours plus digitalisée et interconnectée, les plateformes – et en particulier les places de marché – semblent désormais être devenues le catalyseur d’un certain nombre de préoccupations du droit économique.

Si le législateur a pu un temps sembler considérer que, face à un phénomène en construction, rien ne valait mieux que l’inaction, en raison de l’obsolescence, par nature programmée, d’une norme visant à réguler un phénomène à ce point évolutif, un changement de cap s’est opéré récemment. Amorcé par la publication par la Commission européenne (ci-après, la « Commission »), le 28 octobre 2015, de sa feuille de route pour le marché unique numérique (Comm. UE, Communication, 28 octobre 2015, Améliorer le marché unique : de nouvelles opportunités pour les citoyens et les entreprises), ce changement de cap s’est surtout traduit par la publication, le 26 avril 2018, d’une proposition de règlement destinée à « renforcer l’équité et la transparence pour les plateformes en ligne » et à « établir un écosystème équitable », (ci-après, la « proposition de règlement » ; v. Comm. UE, fiche d’information, 26 avr. 2018, La Commission fixe de nouvelles normes en matière de transparence et d’équité pour les plateformes en ligne ; en droit français, v. D. n° 2017-1434, 29 sept. 2017, JO 5 oct., D. n° 2017-1435, 29 sept. 2017, JO 5 oct. et D. n° 2017-1436, 29 sept. 2017, JO 5 oct., qui prévoient des mesures sensiblement équivalentes à celles de la proposition de règlement).

Rappelons que le choix de cet instrument n’est pas anodin puisque, dès son adoption et à la différence d’une directive, un règlement est doté d’un effet immédiat dans les différents États-membres de l’Union européenne (TFUE, art. 288). La proposition de règlement participe par ailleurs d’un objectif, plus global, de refonte et d’adaptation du droit de la consommation européen aux nouveaux modes de consommation et en particulier au numérique (« New Deal For Consumers »), qui devrait se matérialiser par l’adoption d’une directive dont les grandes lignes ont d’ores et déjà été dévoilées par la Commission, le 11 avril 2018 (Comm. UE, communiqué, 11 avr. 2018, Une nouvelle donne pour les consommateurs : la Commission renforce les droits des consommateurs et leur application dans l'UE, v. https://www.linkedin.com/pulse/newdealforconsumerdroitdelaconsommationpmemaulinavoc-romain-maulin/).

Avant d’analyser la consistance et l’impact potentiel des mesures correctrices que la Commission propose d’adopter (II), il est nécessaire de brosser un état des lieux des problématiques que les plateformes peuvent, effectivement ou potentiellement, soulever (I).

I. – États des lieux des problématiques soulevées par les plateformes ou places de marché au regard du droit de la concurrence et de la consommation

L’insuffisance de la boîte à outils dont disposent actuellement les autorités de contrôle (par ce terme, sont visées à la fois les autorités de concurrence ou, plus généralement, les autorités en charge de faire appliquer le droit de la consommation comme c’est le cas de la DGCCRF en France) s’explique notamment par l’existence – et potentiellement le renforcement – d’un rapport de force structurellement déséquilibré entre les plateformes et leurs utilisateurs (A). Elle s’explique également par le fait que les comportements constatés ou redoutés semblent, pour la plupart d’entre eux, actuellement hors de portée du droit de la concurrence (B).

A. – Un rapport de force structurellement déséquilibré entre les plateformes et leurs utilisateurs

Les « places de marchés » (ou « market places ») – mais cela vaut également pour l’ensemble des plateformes – sont des plateformes numériques mettant en relation des consommateurs avec des entreprises tierces et se rémunérant notamment par le paiement d’une commission sur les transactions. Ces entreprises tierces sont généralement des PME qui ont besoin de la notoriété d’une plateforme pour atteindre les consommateurs.

Selon la DGCCRF, « il existe ainsi un déséquilibre structurel entre les différentes parties et donc un rapport de force déséquilibré » (DGCCRF, communiqué, 18 déc. 2017, Pratiques commerciales des plateformes numériques : annonce des résultats d’une enquête d’envergure de la DGCCRF). Pour garantir le bon fonctionnement des marchés, ce déséquilibre ne doit pas se traduire par des clauses ou pratiques abusives. Les plateformes, au même titre d’ailleurs que toute autre société commerciale, sont en effet soumises à l’obligation de ne pas se comporter de manière déloyale au sens de la directive sur les pratiques commerciales déloyales (Dir. 2005/29/CE, 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur ; dans le cadre du New Deal For Consumers, la Commission a proposé une nouvelle version de cette directive actuellement en cours d’examen).

De la même façon, la Commission relevait, par exemple dans son rapport préliminaire sur le commerce électronique en date du 15 septembre 2016, que « certaines places de marché imposent des restrictions à la capacité pour les distributeurs de se mettre en avant sur la place de marché et, ainsi, d’établir un contact direct avec le client. Les ventes réalisées par l’intermédiaire des places de marché ne sont donc pas nécessairement de nature à pérenniser, sur le long terme, la relation client et à permettre de réaliser de nouvelles ventes » (Comm. UE, Rapport préliminaire de l’enquête sectorielle sur le commerce électronique, 15 sept. 2016, § 453).

Au total, les pratiques litigieuses des plateformes qui ont, à ce jour, pu être identifiées par les autorités de concurrence (v. Competition and Markets Authority, Response to the European Commission’s consultation on the regulatory environment for platforms, online intermediaries, data and cloud computing and the collaborative economy, 23 déc. 2015, p. 5, § 12 ; Comm. UE, Communication, Les plateformes en ligne et le marché unique numérique, 25 mai 2016, p. 14) – sans toutefois avoir, pour la majorité d’entre elles, donné lieu à des condamnations – sont les suivantes :
— L’imposition de modalités et conditions abusives, en particulier pour l’accès à des bases d’utilisateurs ou de données importantes ;
— Le refus d’accès à un marché émanant de ces plateformes, y compris à des données commerciales essentielles, ou la modification unilatérale des conditions d’accès au marché ;
— Le double rôle que jouent les plateformes lorsqu’elles donnent accès à un marché et, en même temps, concurrencent des fournisseurs, ce qui peut amener les plateformes à promouvoir indûment leurs propres produits ou services au détriment de ces fournisseurs ;
— L’exploitation sur un marché donné d’une position dominante régulièrement acquise sur un autre marché : il s’agit de la problématique des marchés connexes qui s’est notamment manifestée dans l’affaire Google Shopping (Comm. UE, 27 juin 2017, aff. AT.39740, Moteur de recherche Google (Shopping), v. infra) où cet opérateur a été effectivement condamné pour avoir abusé, sur le marché de la comparaison de prix, de la position dominante régulièrement acquise sur un autre marché, en l’occurrence le marché de la recherche ;
— Les tentatives d’annihiler l’émergence de nouvelles formes de concurrence, notamment en refusant d’octroyer des licences ou en interdisant de vendre sur des plateformes (en l’occurrence des places de marché) offrant des canaux de distribution alternatifs ;
— Les tentatives de verrouillage de fournisseurs/utilisateurs, en particulier par le recours à des clauses de parité abusives. Cette pratique a notamment été sanctionnée dans l’affaire Amazon e-books, dans laquelle cette plateforme obligeait les fournisseurs de livres numériques à, d’une part, l’informer de l’offre de conditions plus favorables ou différentes à des concurrents et/ou, d’autre part, à lui accorder des conditions dépendant directement ou indirectement des conditions offertes à un autre revendeur de livres numériques. Les mêmes pratiques ont également donné lieu à la souscription d’engagements dans les multiples affaires Booking (v. not. R. Maulin, Prise de position du Tribunal de commerce de Paris au sujet des plateformes de réservation en ligne pour hôtels, AJCA août 2015, pp. 376 à 379), etc.
— Lorsque ces mêmes acteurs sont en concurrence directe pour la vente de certains produits ou services, l’échange de données sensibles sur le plan de la concurrence, telles que des données sur les prix et les volumes de vente entre des places de marché et des vendeurs tiers ou entre des fabricants disposant de leurs propres points de vente et des détaillants (Comm. UE, Rapport final relatif à l’enquête sectorielle sur le commerce électronique, § 56, p. 15).
 
B. – Des comportements économiques qui, tout en étant a priori préjudiciables, n’en demeurent pas moins hors de portée du droit de la concurrence actuel

L’enquête sectorielle sur le commerce électronique a permis à la Commission de comprendre la prévalence de certaines pratiques commerciales de même que leur logique sous-jacente et, in fine, de définir des priorités pour la mise en œuvre des règles de concurrence de l’Union européenne.

Ainsi, comme la Commission le rappelle, à l’évidence, « pour que les règles destinées à réprimer les abus de position dominante au titre de l’article 102 s’appliquent, il faut que les plateformes concernées occupent une position dominante sur le marché en cause » (Comm. UE, fiche d’information, 26 avr. 2018, La Commission fixe de nouvelles normes en matière de transparence et d’équité pour les plateformes en ligne). Si la dominance peut, éventuellement, être caractérisée pour appréhender les pratiques d’acteurs à l’image d’Amazon ou encore Google, il existe en revanche une variété de plateformes qui sont encore loin d’atteindre le seuil de la dominance.

Par ailleurs, tout comme le soulignait l’autorité de la concurrence britannique (Competition and Markets Authority), la puissance de marché des plateformes peut, dans certains cas, être tout à la fois transitoire et fragile (Competition and Markets Authority, Response to the European Commission’s consultation on the regulatory environment for platforms, online intermediaries, data and cloud computing and the collaborative economy, 23 déc. 2015, p. 2). Il en résulte qu’en dépit de sa plasticité apparente, l’incrimination d’abus de position dominante peut donc être difficile à mobiliser.
La Commission le reconnaît sans ambages lorsqu’elle indique que « le droit de la concurrence aux échelons de l’UE ou national n’apporte pas nécessairement de solution » (Comm. UE, fiche d’information, 26 avr. 2018, La Commission fixe de nouvelles normes en matière de transparence et d’équité pour les plateformes en ligne).

Grâce à la proposition de règlement, l’ambition de la Commission est donc désormais de pouvoir appréhender et réguler, aussi efficacement que possible, les comportements des plateformes sans avoir à établir, au préalable, leur position dominante. La Commission veut donc se doter de moyens d’action sans être soumise à ce standard probatoire particulièrement lourd.

II. – Présentation des mesures correctrices proposées et de leur impact envisageable

Les mesures proposées par la Commission sont, pour partie, identiques à celles qui ont d’ores et déjà été introduites en droit français, en particulier par trois décrets du 29 septembre 2017 (v. supra). Il reste que le déploiement de telles mesures à l’échelle de l’ensemble des États membres, tout comme l’introduction par la Commission de certains dispositifs novateurs pourraient permettre d’assurer, au sein de l’Union européenne, un level playing field – c’est-à-dire un espace géographique unifié au sein duquel la réglementation est identique ou sensiblement similaire. Deux types de mesures sont envisagés : d’une part, des mesures ex ante qui visent à prévenir la survenance de comportements économiques répréhensibles (A) et, d’autre part, des mesures ex post qui visent à apporter une réponse appropriée lorsque des comportements répréhensibles ont effectivement été mis en œuvre (B).

A. – Au niveau ex ante : une démarche générale de corégulation destinée à accroître la transparence et prévenir les comportements illicites

Relevons d’emblée que cette démarche est intéressante lorsque l’on sait que, selon la théorie économique, la régulation classique n’est pas pleinement appropriée ni même transposable à l’économie digitale (A. Shrager, A Nobel-winning economist’s guide to taming tech monoplies: interview of Jean Tirole, Quartz, 27 juin 2018, p. 5). La vitalité avec laquelle les nouvelles technologies se développent rend en effet potentiellement obsolète toute mesure législative au moment même de son adoption. Aussi est-il nécessaire de veiller à ce que la régulation envisagée ne soit pas de nature à créer, sur des marchés particulièrement dynamiques, de nouvelles barrières à l’entrée (v. CE, Puissance publique et plateformes numériques : accompagner l’« ubérisation », 29 sept. 2017, par lequel le Conseil d’État recommande de renoncer à l’idée d’un droit spécifique aux plateformes ; v. ég. le compte-rendu du séminaire Philippe Nasse du 22 juin 2016 intitulé « La concurrence des plateformes du numérique », p. 8 (intervention de Jérôme Philippe).

Ce point semble désormais avoir été pleinement intégré par la Commission qui, dès sa communication du 25 mai 2016 sur les plateformes en ligne, rappelait que « dans bien des cas, l’autorégulation et la corégulation peuvent fournir de meilleurs résultats pour permettre le développement d’écosystèmes de plateformes solides en Europe et elles peuvent compléter ou renforcer la législation qui régit déjà certaines activités des plateformes en ligne » (Comm. UE, communication, 25 mai 2016, Les plateformes en ligne et le marché unique numérique : perspectives et défis pour l’Europe, p. 6 et 17).

Au sein de la proposition de règlement, cette prise en compte prend les formes suivantes.

Tout d’abord par un effort de transparence qui se matérialisera tout d’abord tant au bénéfice des entreprises utilisatrices que des consommateurs clients finals. La transparence portera en premier lieu sur les conditions générales d’utilisation (proposition de règlement, art. 3) qui devront à la fois être rédigées de façon claire et non équivoque, mais également être accessibles aux utilisateurs à chaque phase de leur relation avec les plateformes, y compris lors de la phase pré-contractuelle (v. C. consom., art. L. 111-7). En cas de manquement à ces obligations, les conditions générales ne seront tout simplement pas opposables à l’utilisateur.

L’effort de transparence devra également, et de manière peut être plus significative, porter sur la politique générale de classement des entreprises dans les résultats de recherche (proposition de règlement, art. 5) puisque, comme le constate elle-même la Commission, le classement a un impact significatif sur le choix des consommateurs (proposition de règlement, p. 2). À ce titre, relevons également que la proposition de règlement invite les plateformes, ainsi que les organisations professionnelles les représentant, à concevoir des codes de conduites portant, en particulier, sur la meilleure façon d’apporter davantage de transparence à leur politique de classement des résultats (proposition de règlement, art. 13).

Il portera enfin sur le formalisme et la procédure à suivre par la plateforme en cas de suspension ou de clôture du compte de l’un de ses utilisateurs, en particulier en lui imposant d’exposer, le plus clairement possible, les raisons justifiant cette décision (proposition de règlement, art. 4). Cela pourrait donc générer un contentieux d’un type nouveau pour les utilisateurs qui estimeraient avoir été injustement évincés de la plateforme en question.

Il est possible d’y voir la concrétisation de l’expérience acquise par les services de la Commission dans le cadre de l’affaire Google Shopping (Comm. UE, 27 juin 2017, aff. AT.39740, Moteur de recherche Google [Shopping], cette décision fait actuellement l’objet d’un recours), dans le cadre de laquelle Google a été condamnée pour avoir abusé de sa position dominante en ayant « [réservé], sur ses pages de résultats de recherche générale, un placement et un affichage plus favorables à son propre service de comparaison de prix par rapport aux services de comparaison de prix concurrents » (Comm. UE, 27 juin 2017, aff. AT.39740, préc., résumé § 11).

Enfin, la création d’un Observatoire de l’Union européenne sur l’économie des plateformes en ligne (proposition de règlement, art. 14) permettra, quant à elle, à la Commission de prévenir l’obsolescence de ses outils d’analyse et de ses moyens d’action en rendant possible une surveillance des « tendances et perspectives des marchés » (Comm. UE, fiche d’information, 26 avr. 2018, La Commission fixe de nouvelles normes en matière de transparence et d’équité pour les plateformes en ligne). Si cet Observatoire pourra probablement, du moins dans un premier temps, capitaliser sur les nombreuses informations collectées soit par la Commission dans le cadre de son enquête sectorielle sur le commerce électronique, soit par d’autres autorités nationales de concurrence, il reste désormais à savoir quelles seront les ressources dont sera effectivement dotée cet Observatoire et la mesure dans laquelle les plateformes participeront à ses travaux. Cet Observatoire collaborera probablement, de façon étroite, avec l’équipe d’experts extérieurs qui vient d’être été mise en place par la DG Concurrence, avec pour objectif de produire un rapport d’ici à mars 2019 sur les défis futurs posés par le numérique à la politique de concurrence (M. Vestager, Comment la politique de concurrence peut-elle appréhender les nouveaux défis générés par l’essor de l’économie numérique ?, dossier spécial Les grands enjeux du numérique, in Aut. conc., rapport annuel 2017, p. 11).

Dans ces conditions, il semble que la démarche de corégulation pourrait fonctionner de façon satisfaisante, car l’accès à de telles données de marché permettra vraisemblablement au régulateur (qu’il s’agisse de la Commission, ou des États membres) de réduire l’asymétrie d’informations dont il souffre traditionnellement, et plus particulièrement dans les secteurs hautement évolutifs comme, par exemple, le digital. Relevons également qu’afin de s’assurer d’être au plus près des réalités juridiques du moment, la proposition de règlement prend soin de préciser que, tous les trois ans, la pertinence des dispositions du Règlement – en particulier en ce qui concerne la politique de classement – sera réévaluée à l’aune des avancées technologiques intervenues (proposition de règlement, art. 14[2]).

B. – Au niveau ex post : un certain nombre d’ajustements clairement (dé)limités

Il s’agit principalement de la mise en place à venir d’un système de résolution des litiges entre plateformes et utilisateurs (proposition de règlement, art. 9), qui se veut à la fois « rapide et efficace » (). Sans même aborder la question de son éventuelle efficacité, il est possible de considérer, au regard par exemple du temps mis par la Commission à instruire les pratiques de Google dans le dossier Google Shopping (ainsi, dans l’affaire Google Shopping, près de 8 ans se sont écoulés entre la première plainte formelle [le 3 novembre 2009] et la décision de sanction de la Commission [le 27 juin 2017]), que dans ce secteur il sera tout de même particulièrement difficile d’arbitrer « rapidement » des litiges entre plateformes et utilisateurs.
 
Il reste toutefois que la Commission a pris soin d’inclure l’obligation pour chaque plateforme (hormis celles qui constituent des PME) d’établir et de rendre public, chaque année, un rapport concernant l’efficacité de son système interne de traitement des plaintes. Si cela s’inscrit dans le cadre d’une démarche de conformité à laquelle s’astreignent désormais volontairement la plupart des sociétés commerciales, il est toutefois bon que cette exigence de transparence soit formellement rendue obligatoire pour les plateformes. Elle rappelle quelque peu l’injonction qui, dans un tout autre secteur, a été adressée aux laboratoires pharmaceutiques de publier, chaque année, un rapport concernant leurs accords de report d’entrée (« pay for delay ») conclus avec les laboratoires génériques (ces rapports annuels sont disponibles à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/competition/sectors/pharmaceuticals/inquiry/ et qui permet ainsi à la Commission de disposer des informations lui permettant d’apprécier l’opportunité d’ouvrir une procédure d’enquête.
 
Au titre des mécanismes ex post, relevons également que toutes les plateformes devront avoir désigné, dans leurs conditions générales d’utilisation, au moins un médiateur qui sera chargé de parvenir à un règlement extrajudiciaire des litiges qui se seront matérialisés (proposition de règlement, art. 10 et 11). La Commission a pris soin, d’une part, d’établir une liste de prérequis que devront remplir les médiateurs désignés, en ce qui concerne en particulier leur indépendance et impartialité et, d’autre part, de préciser que la plateforme devra prendre en charge à tout le moins la moitié du coût total de la médiation (de sorte à ne pas placer l’utilisateur face à une contrainte financière trop significative).
 
Plus novateur encore, la proposition de règlement cherche à favoriser l’externalisation des litiges (proposition de règlement, art. 12) en invitant les organisations ou associations représentatives des intérêts des utilisateurs de plateformes à les représenter en justice. Ces actions devront être engagées par des organisations à but non lucratif – ce critère excluant de facto les nombreuses plateformes de financement de litiges qui ont pu émerger ces dernières années – et qui auront été régulièrement constituées selon le droit national de l’État membre concerné. Il reste à déterminer quelle consistance pourra être donnée à cette disposition en France lorsque l’on connaît l’état de « sous-développement » des actions collectives.
 
Cette proposition de règlement semble davantage fournir une nouvelle orientation de politique digitale qu’un cadre juridique fondamentalement différent que souhaite, le plus rapidement possible, mettre en œuvre la Commission. Ses effets bénéfiques pourraient toutefois être rapidement perçus par les utilisateurs de plateformes dans la mesure où ces dernières pourraient d’ores et déjà, sans même attendre son adoption, prendre l’initiative de mettre leurs pratiques en conformité par rapport à la proposition de règlement. Au plan plus général, la démarche de corégulation, si elle devait fonctionner en matière d’amélioration des relations entre plateformes et leurs utilisateurs, pourrait probablement essaimer dans d’autres secteurs d’activité.

Romain Maulin
Avocat à la Cour
romain.maulin@maulin-avocats.com
Source : Actualités du droit