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Caractérisation d'une oeuvre de collaboration et nécessité de mise en cause de tous les auteurs de l'oeuvre

Affaires - Immatériel
29/03/2018
Si le coauteur d'une oeuvre de collaboration peut agir seul pour la défense de son droit moral, c'est à la condition que sa contribution puisse être individualisée ; dans le cas contraire, il doit, à peine d'irrecevabilité, mettre en cause les autres auteurs de l'oeuvre ou de la partie de l'oeuvre à laquelle il a contribué. Ainsi, les paroles des chansons considérées ayant été écrites à partir de poèmes préexistants, en collaboration étroite avec leurs auteurs et la contribution de l'auteur des chansons étant indivisible de celle des auteurs des poèmes, ces derniers devaient être appelés en la cause. Tel est l'un des enseignements d'un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 21 mars 2018.
En l'espèce, l'exécuteur testamentaire en charge de l'exercice du droit moral de Jean Ferrat, compositeur et artiste-interprète, et le titulaire des droits de reproduction des oeuvres de celui-ci, faisant grief à une société d'avoir publié un ouvrage intitulé "Jean Ferrat - Le charme rebelle", qui reproduisait soixante extraits des textes de cinquante-huit chansons de Jean Ferrat, l'ont assignée en contrefaçon.

Tout d'abord, la Cour de cassation rappelle que pour caractériser une oeuvre de collaboration, il convient d'établir la communauté d'inspiration de ses coauteurs. Ainsi, il s'agit en l'espèce d'oeuvres de collaboration dès lors que Jean Ferrat faisait son choix parmi les poèmes que l'un des auteurs lui envoyait, puis lui adressait un projet, sur lequel l'un et l'autre discutaient longuement, les modifications que Jean Ferrat proposait d'apporter aux textes illustrant le travail concerté des auteurs unis par une communauté d'inspiration, peu important que les textes soient issus de poèmes préexistants. Il en est de même des chansons issues de poèmes de Louis Aragon, les deux auteurs s'entretenant sur la manière de mettre en musique ses poèmes, sur le titre à leur donner ou les verbes à enlever, et une certaine complicité existant entre eux dont témoignent les écrits du poète comme les déclarations de Jean Ferrat.

Puis après avoir écarté l'exception de courtes citations, la Cour de cassation, énonçant la solution précitée, censure l'arrêt d'appel (CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 16 déc. 2016, n° 16/01448) au visa de l'article L. 113-3 du Code de la propriété intellectuelle. En effet, les juges du fond avaient retenu que l'action en contrefaçon était recevable, alors que les auteurs des poèmes ou leurs ayants-droit n'ont pas été appelés en la cause.

Par Vincent Téchené
Source : Actualités du droit