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Présidentielle 2017 – François Fillon, candidat LR : « La justice française est en crise et doit être réformée »

Pénal - Vie judiciaire
20/04/2017
Augmenter de 1,5 Md€ d’ici à la fin du quinquennat le budget de fonctionnement de la justice, simplifier les passerelles entre les professions du droit, simplifier les procédures pénales, rendre les peines effectives et améliorer les conditions de détention… Telles sont quelques-unes des propositions en matière de justice que le candidat du parti Les Républicains détaille pour Actualités du droit.
Actualités du droit : Pensez-vous augmenter le budget du ministère de la Justice, un des plus mal lotis en Europe, pour améliorer le fonctionnement de ce service public ?

François Fillon : Je partage votre constat : la justice française est en crise et doit être réformée. Les moyens de la Justice sont très insuffisants : avec 8 Mds€, dont plus de la moitié dédiée aux services pénitentiaires, le budget de la justice se situe en effet dans la moyenne basse des pays européens. Je propose de renforcer les moyens humains (300 postes) et le budget de fonctionnement de la justice à raison d'une augmentation de 1,5 Md€ d’ici à la fin du quinquennat et d'accompagner le développement d’une informatique alliant qualité et sécurité en matière de gestion et de communication avec les justiciables sur l'ensemble du territoire. Une loi de programmation et de modernisation définira les investissements, les effectifs et les équipements pour l’ensemble sécurité-justice sur le quinquennat.
 
AdD : Quelles sont vos propositions pour améliorer l’aide juridictionnelle, gage d’accès à la justice pour de nombreux citoyens ?

F. F. : L'aide juridictionnelle doit constituer un véritable moyen d’accès à la Justice et permettre une juste rétribution des professionnels du droit. Les discussions menées avec les compagnies d'assurance doivent se poursuivre car une meilleure prise en charge des frais de justice en faisant appel à l'assurantiel est souhaitable. Pour les inciter à faire des propositions de prise en charge d'un périmètre élargi de contentieux hors pénal, il paraît utile que soient fournis au juge la convention d’honoraires et les factures des avocats de telle manière qu'il en tienne compte dans la taxation de l’indemnité recouvrable par la partie gagnante sur la partie perdante. Il faut aussi responsabiliser les justiciables et subordonner l’attribution de l’aide juridictionnelle à la production d’une attestation de la compagnie d’assurance du demandeur confirmant qu’il ne bénéficie pas d’une protection juridique pour le procès considéré.
Enfin, comme en matière pénale, la partie perdante dans tout procès civil devra payer à l’État une taxe recouvrable par le Trésor public et affectée au ministère de la Justice pour l'aide juridictionnelle.
 
AdD : Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour désengorger les juridictions ? Comptez-vous augmenter le nombre de magistrats recrutés chaque année, notamment en facilitant les passerelles entre les professions d’avocat et de magistrat, et accélérer le mouvement de déjudiciarisation de certaines procédures ?

 F. F. : Pour diminuer l’encombrement des juridictions et réduire les délais des procédures, il faut d'abord recentrer la justice sur ses missions essentielles en développant le corps intermédiaire des assistants de justice et décharger les présidents de juridiction des aspects purement organisationnels pour les recentrer sur le juridictionnel complexe. Je suis par ailleurs très favorable à la simplification des passerelles entre les professions du droit et notamment entre les professions d'avocat et de magistrat. Je souhaite diversifier l’origine et le profil des magistrats en augmentant de manière significative le nombre de magistrats recrutés hors école de la magistrature, favorisant au surplus une pyramide démographique du corps plus cohérente. La simplification des procédures, notamment des procédures pénales, doit permettre de désengorger les tribunaux. Par exemple, il faut le faire de façon systématique et prioritaire en cas de reconnaissance de la commission d’un délit en autorisant la rédaction des procès-verbaux de procédure et d’auditions par simple enregistrement, assortie de la rédaction d’un procès-verbal de synthèse, avec présence d’avocat obligatoire. Il faut poursuivre le développement des modes alternatifs de règlement des conflits en associant encore plus étroitement les avocats à ces nouvelles procédures, leur rôle est essentiel.
En matière civile, je souhaite que le recours à la tentative préalable de conciliation soit généralisé et que les contentieux sociétaux soient déjudiciarisés. La saisine du Juge sans préalable sera toujours possible en cas d'urgence ou dans certaines matières. Pour que ces nouveaux modes de règlement des conflits trouvent leur pleine efficacité, il faut faire évoluer les mentalités des justiciables mais aussi de certains professionnels. Les professionnels du droit ont un rôle essentiel à jouer dans cette évolution.
 
AdD : Comptez-vous enfin réformer le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) de manière à garantir l’indépendance des magistrats du parquet vis-à-vis de l’exécutif ?

F. F. : L'unité des magistrats du siège et du parquet doit être réaffirmée et la nomination des magistrats du Parquet sur proposition du gouvernement avec avis conforme du CSM ne pourrait être envisagée que dans le cadre d'une réforme plus profonde des institutions judiciaires. Il appartient au pouvoir exécutif mis en place par le peuple et responsable devant lui de déterminer en son nom la politique pénale de la Nation. Or, la déterminer sans en maîtriser l’application n’est pas complètement satisfaisant et pose la question de la répartition des responsabilités.
 
AdD : Quelles mesures prévoyez-vous de mettre en place pour réduire la population carcérale et mieux prévenir la récidive, plus particulièrement des jeunes délinquants ?

F. F. : Faute de places de prison, on a développé une multitude de dispositifs qui visent uniquement à contourner la prison ou à réduire la détention. Le constat est accablant : le nombre de peines de prison fermes non exécutées oscille depuis plusieurs années entre 80 000 et 100 000. Il faut redonner du sens à la peine en rendant les peines effectives et en améliorant les conditions de détention. Je veux poursuivre le programme de construction de places de prison arrêté en 2012. Je propose la construction de 16 000 places de prison en séparant les primo-délinquants des autres détenus et de créer un service unique d’application des peines, placé sous la supervision conjointe du procureur et du juge de l'application des peines, pour rendre les peines effectives et associer les victimes dans le cadre de mesures de réparation.
Mais la prison n’est pas la seule réponse, notamment pour les primo-délinquants et particulièrement les jeunes délinquants. Il faut donner au travail un rôle central dans l’exécution de la peine pour permettre la réinsertion. Je veux développer des modes alternatifs en renforçant les programmes de réussite éducative et en développant largement les travaux d’intérêt général, en partenariat avec les villes grandes et moyennes, ainsi que les places en établissements éducatifs à encadrement militaire (EPIDE) tant pour les mineurs de 16 ans que pour les jeunes majeurs. Prévenir la récidive, c'est placer les jeunes en situation de s'insérer dans le monde du travail pour trouver leur place dans la société. Je veux aussi créer des équipes judiciaires pluridisciplinaires dédiées au traitement de la délinquance des jeunes multi réitérants (à l’instar des équipes dédiées aux affaires financières, au terrorisme, etc.). Ces équipes pluridisciplinaires seront composées notamment de magistrats, de policiers des brigades des mineurs, d’éducateurs spécialisés, de psychiatres, et des outils éducatifs et statistiques d’évaluation devront être mis en place pour permettre d’adapter la pertinence des mesures et des sanctions éducatives.
 
Propos recueillis par Stéphanie Pourtau
 
Source : Actualités du droit