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Inconstitutionnalité du délit de consultation habituelle de sites internet terroristes

Pénal - Droit pénal spécial
10/02/2017
La pénalisation de la consultation habituelle des « sites internet terroristes » n'est pas conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit, en ce qu'elle porte une atteinte à  l’exercice de la liberté de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée.
Le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation le 7 décembre 2016 (Cass. crim., 7 déc. 2016, n° 16-90.024) d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article 421-2-5-2 du Code pénal.
 
Dans sa rédaction issue de la loi du 3 juin 2016 (L. n° 2016-731, 3 juin 2016, JO 4 juin, art. 18), ce texte prévoit et punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie. Il n’y a toutefois pas lieu à poursuite et sanction lorsque la consultation :
  • est effectuée de bonne foi ;
  • résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public ;
  • intervient dans le cadre de recherches scientifiques ;
  • est réalisée afin de servir de preuve en justice.
Le requérant invoquait une atteinte :
  • à la liberté de communication et d’opinion, dès lors que le texte réprime la seule consultation d’un service de communication au public en ligne, indépendamment de toute exigence relative à la preuve d’une intention ;
  • au principe de légalité des délits et des peines et à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, en raison de l’imprécision des termes employés ;
  • au principe d’égalité, puisque, d’une part, seules certaines personnes sont autorisées par la loi à accéder à ces contenus en raison de leur profession et que, d’autre part, la consultation des contenus n’est sanctionnée que lorsqu’elle a lieu par internet, à l’exclusion d’autres supports ;
  • au principe de la présomption d’innocence, en ce que la personne se livrant à la consultation incriminée serait présumée vouloir commettre des actes terroristes.
 
Après avoir rappelé l’importance de la liberté d'expression et de communication au sein d’une société démocratique et le fait que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi, le Conseil constitutionnel s’attache à l’examen de la constitutionnalité de la disposition contestée au regard de cette triple exigence.

En ce qui concerne d’abord la nécessité de l'atteinte, le Conseil constitutionnel énumère nombre de dispositifs mis en place pour lutter contre le terrorisme, de manière à la fois préventive et répressive, notamment en ce qui concerne l'incitation et la provocation au terrorisme sur les sites internet. Ainsi en est-il d’un ensemble d’infractions pénales, autres que celle contestée et de dispositions procédurales pénales spécifiques ayant pour objet de prévenir la commission d’actes de terrorisme (C. pén., art. 421-2-1 et s. : association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, provocation et apologie du terrorisme,…). L'autorité administrative dispose également de nombreux pouvoirs afin de prévenir la commission de tels actes (notamment en application du titre V du livre VIII du Code de la sécurité intérieure).
L’atteinte à la liberté de communication (l’incrimination elle-même ?) ne s’avère donc pas nécessaire, puisque « les autorités administratives et judiciaires disposent, indépendamment de l’article contesté, de nombreuses prérogatives, non seulement pour contrôler les services de communication au public en ligne provoquant au terrorisme ou en faisant l’apologie et réprimer leurs auteurs, mais aussi pour surveiller une personne consultant ces services et pour l’interpeller et la sanctionner lorsque cette consultation s’accompagne d’un comportement révélant une intention terroriste, avant même que ce projet soit entré dans sa phase d’exécution ».

En ce qui concerne ensuite les exigences d'adaptation et de proportionnalité, le Conseil constitutionnel convient qu’il pas exigé que l’auteur ait la volonté de commettre des actes terroristes, ni même la preuve que cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ces services. La preuve de l’intention de l’auteur est donc indifférente, sous réserve de la prise en compte des finalités justificatives spécifiquement envisagées par le texte.
Mais si, ce faisant, le législateur a exclu la pénalisation de la consultation effectuée de « bonne foi », les travaux parlementaires ne permettent pas de déterminer la portée que le législateur a entendu attribuer à cette exemption. Dès lors, les dispositions contestées font peser une incertitude sur la licéité de la consultation de certains services de communication au public en ligne et, en conséquence, de l’usage d’internet pour rechercher des informations.

Le Conseil constitutionnel déduit de ce qui précède que les dispositions contestées portent à l'exercice de la liberté de communication une atteinte qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. L’article 421-2-5-2 du Code pénal doit donc être déclaré contraire à la Constitution, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres griefs.
Aucun motif ne justifiant de report
, la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet immédiatement et s'applique donc à toutes les instances non définitivement jugées.
 
Source : Actualités du droit