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Après le PJL Justice, place à la réforme de la justice des mineurs !

Pénal - Droit pénal général, Procédure pénale
22/02/2019
Rendu public le 20 février dernier, un rapport de la mission d’information sur la justice des mineurs donne des pistes en vue d’une réforme : mise en place d’un Code pénal des mineurs, fixation d’un âge de la responsabilité pénale, instauration d’une procédure sans mise en examen. Le point sur les suggestions.
Comment concilier la lutte contre la délinquance avec la protection de l’enfance ? Le mineur est-il un délinquant comme les autres ? Quel rôle doit jouer l’éducation ? Autant de questions qui font de la justice pénale des mineurs un sujet particulièrement complexe et sensible.
 
Le 21 novembre 2018, alors que les discussions sur le PJL Justice battent leur plein, la garde des Sceaux annonce le dépôt d’un amendement (TA AN n° 1503, 2018-2019, art. 52, amendement n°1644) habilitant le gouvernement à réformer la justice des mineurs par ordonnance. Cette déclaration déclenche une levée de boucliers, en particulier chez les avocats. Toujours est-il que cette habilitation figure in fine dans le projet de loi adopté définitivement le 18 février dernier (TA AN n° 232, 2018-2019, art.93).
 
Menée par Jean Terlier et Cécile Untermaier, la première réunion de cette mission d’information s’est tenue le 6 juin 2018, soit bien avant l’habilitation législative à modifier par ordonnance la justice des mineurs. Cette mission d’information de l’Assemblée nationale pourrait nourrir une réforme qui s’annonce bien délicate…
 
Le constat d’un durcissement de la réponse pénale
La mission d’information souligne qu’à l’exception de « la loi du 18 novembre 2016, la dynamique des récentes réformes du droit pénal des mineurs indique une tendance au durcissement de la politique pénale à l’égard des mineurs et tend vers une remise en question de ses principes fondateurs » (Assemblée nationale, Rapport d’information sur la justice des mineurs, n° 1702). Pourtant le nombre d’affaires impliquant des mineurs est relativement stable, ce dernier a même baissé de 7,4 % entre 2016 et 2017.
 
L’évolution du profil des mineurs délinquants peut expliquer cette sévérité. Le ministère de l’Intérieur constate, en effet, une « tendance à l’aggravation des infractions commises et au rajeunissement de leurs auteurs. Certaines bandes organisées n’hésitent pas à utiliser des mineurs de moins de treize ans – qui ne peuvent pas être mis en garde à vue – pour des infractions d’atteinte aux biens (cambriolage, vol à l’étalage…) et de trafic de stupéfiants (guetteur, livreur…) » (Assemblée nationale, Rapport d’information sur la justice des mineurs, n° 1702).
 
Un code dédié à la justice pénale des mineurs
Trente-neuf, tel est le nombre de modifications apportées à l’ordonnance relative à l’enfance délinquante depuis 1945. Résultat : le droit applicable en la matière s’est peu à peu complexifié. Le syndicat de la magistrature, entre autres, appelle de ses vœux la création d’un Code pénal des mineurs. Celui-ci réunirait les dispositions de l’ordonnance et celles du Code civil relatives à la protection de l’enfance.
 
Clarifier et simplifier l’ordonnance de 1945, telles sont les finalités de cette codification. Certains termes manquent de clarté « Madame Fabienne Klein-Donati, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bobigny, a considéré qu’une procédure comme « la remise à parent » était obsolète et qu’elle n’était pas comprise par les mineurs et leurs parents » (Assemblée nationale, Rapport d’information sur la justice des mineurs, n° 1702).
 
Autre élément qui participe de cette complexité, l’existence d’une procédure officieuse : « en effet, l’article 8 de l’ordonnance de 1945 autorise le juge des enfants à instruire par le recours à une enquête « soit par voie officieuse, soit dans les formes prévues par le chapitre Ier du livre 1er du Code de procédure pénale consacrée aux règles de l’instruction » sans pour autant définir ce qu’est la voie officieuse. Elle est possible aussi bien pour les investigations relatives aux faits que pour celles relatives à la personnalité du mineur ».
 
À cette complexité, s’ajoutent des incohérences. Madame Eudoxie Gallardo, maître de conférences à l’Université Aix-Marseille relève ainsi que « si la volonté du législateur à partir des années 2000 a été de concilier le droit pénal des mineurs avec les objectifs de la loi pénale, cette volonté devait seulement aboutir à punir plus sévèrement les mineurs que ce qu’ils étaient auparavant. Cependant, en raison notamment du manque d’harmonisation du droit pénal des mineurs avec le droit pénal des majeurs, ces modifications ont eu pour effet de punir les mineurs plus sévèrement que les personnes majeures qui auraient été placées dans une situation identique » (Assemblée nationale, Rapport d’information sur la justice des mineurs, n° 1702).
 
Une procédure sans mise en examen
Cette mission d’information plaide en faveur de la mise en place d’une procédure qui s’inspire de la césure, tout en la simplifiant à travers la suppression de la phase de mise en examen. Pour mémoire, la césure renvoie à « la possibilité pour le juge de se prononcer dans un premier temps sur la culpabilité du prévenu et de manière subsidiaire sur l’action civile puis, dans un second temps, après un délai fixé, sur la nature de la sanction à infliger » (Assemblée nationale, Rapport d’information sur la justice des mineurs, n° 1702 ).
 
Plus précisément, la mission d’information préconise l’instauration d’une procédure de « jugement à peine différée » qui comprendrait deux phases :
– une première audience consacrée à la culpabilité du mineur et à l’éventuelle indemnisation de la victime ;
– une seconde audience permettant au juge de se prononcer sur la peine encourue en tenant compte de l’évolution du mineur et du travail éducatif accompli.
 
Cette nouvelle procédure permettrait, notamment, d’apporter une réponse rapide sur la culpabilité du mineur dans les affaires simples et de mettre en place un travail éducatif avec le mineur.
 
Fixation de l’âge de la responsabilité pénale à 13 ans
Notre système juridique repose sur le critère du discernement. Autrement dit, tout mineur capable de discernement peut être déclaré pénalement responsable.
 
D’aucuns considèrent que ce critère doit être abandonné au profit de la fixation d’un âge de la responsabilité pénale. Jacques Toubon, Défenseur des droits, fait remarquer qu’il « n’est pas rare que des enfants de 7-8 ans fassent l’objet de poursuites pénales dans la mesure où il n’y a pas de seuil d’âge » alors « qu’en dessous d’un certain âge, un enfant, s’il peut avoir compris et voulu son acte, a en revanche, difficilement une telle compréhension de la procédure pénale dans laquelle il se trouve impliqué » (Assemblée nationale, Rapport d’information sur la justice des mineurs, n° 1702). Pour sa part, le Syndicat de la magistrature juge « fondamental que la définition de la minorité pénale soit renforcée par la fixation à 13 ans de l’âge de la responsabilité pénale, sans que ce choix ne soit exclusif de la nécessité, en sus, d’établir le discernement au cas par cas. Cet âge de 13 ans est compatible avec l’article 4-1 des Règles de Beijing adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies le 29 novembre 1985 » (Assemblée nationale, Rapport d’information sur la justice des mineurs, n° 1702).
 
Cécile Untermaier est également favorable à ce que la responsabilité pénale soit fixée à 13 ans, étant précisé que les mineurs de moins de 13 ans devront être pris en charge au titre de l’assistance éducative ou de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
 
Les principaux axes de la réforme :
– révision de l’ordonnance du 2 février 1945 à travers l’établissement d’un Code de la justice pénale des mineurs rassemblant les dispositions relatives aux mineures présentes dans d’autres codes. Cette codification serait l’occasion de réfléchir à l’introduction d’un jugement à peine différée.
– accroître l’efficacité de la prise en charge des mineurs pour endiguer la récidive. Ce travail passe par un renforcement de la coopération des acteurs concernés, notamment des instances de dialogue existantes (CLSPD, GLTD).
 
Panorama des préconisations :
– créer davantage de classes relais pour prendre en charge les mineurs en situation de décrochage scolaire ;
– accroître la formation spécifique des magistrats des parquets pour mineurs et envisager une spécialisation de ces magistrats sur le modèle des juges des enfants ;
 – stabiliser des effectifs dans les CEF avec une revalorisation du statut, garantir un niveau adéquat de personnels d’encadrement, former les éducateurs à une intervention en milieu fermé ;
– mettre en place une véritable évaluation des parcours des jeunes accueillis dans les CEF ;
– simplifier les mesures et les procédures de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante dans le cadre d’un nouveau code de justice pénale des mineurs ;
– fixer à 13 ans l’âge de la responsabilité pénale des mineurs ;
– faire du jugement à peine différée la procédure de principe devant le juge des enfants, tout en lui laissant la possibilité de recourir à la convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement pour les affaires simples et de prononcer une mise en examen pour les affaires complexes ;
– dresser un bilan statistique de l’utilisation de la procédure de présentation immédiate de mineur afin de nourrir une réflexion sur une éventuelle évolution de ses conditions d’application ;
– développer les sanctions pouvant être prononcées par le juge des enfants en cabinet en prévoyant que des sanctions telles que les stages, les amendes et des travaux d’intérêt général ne nécessitent plus un renvoi obligatoire au tribunal pour enfants ;
– modifier l’article 8 de l’ordonnance de 1945 afin de prévoir que le juge des enfants puisse, pour les mineurs âgés de seize ans révolus, rendre un jugement en chambre du conseil tant que la peine encourue est inférieure ou égale à dix ans ;
– confier les compétences en matière de prévention spécialisée de la délinquance à la PJJ afin de garantir son égale application sur l’ensemble du territoire ;
– garantir un socle de formation commun aux éducateurs intervenant en matière de protection de l’enfance et dans le cadre de l’enfance délinquante ;
– utiliser les procédures disciplinaires en milieu scolaire pour prévenir la délinquance des mineurs ;
– encourager les chefs d’établissement à organiser la rencontre des mineurs exclus temporairement ou définitivement de leur établissement scolaire avec un éducateur ;
– mettre à profit le temps de l’exclusion pour mettre en place un accompagnement éducatif ;
– former spécifiquement les enquêteurs et les agents au traitement des mineurs délinquants ;
– développer les pôles psycho-sociaux dans les commissariats et les gendarmeries ;
– préciser la composition des CLSPD pour y inclure les acteurs de terrain autour de diverses thématiques et permettre aux parlementaires d’y assister ;
– promouvoir la création de GLTD dans les quartiers difficiles, notamment dans le cadre de la nouvelle stratégie de la police de sécurité du quotidien ;
– encourager l’information des services de police et de gendarmerie des suites données à leurs interventions ;
– mettre en place un fichier permettant au juge de disposer en temps réel du nombre de places disponibles dans les divers établissements ;
– favoriser la publication à destination des citoyens, du rapport d’activité de la juridiction ;
– redéfinir la notion de secret partagé dans le champ de la lutte contre la délinquance des mineurs ;
– mettre en place un fichier unique de suivi, ouvert à la première mesure, civile ou pénale ;
– identifier un éducateur référent à son ouverture ;
– harmoniser les référentiels d’évaluation partagés entre les différents acteurs ;
– améliorer le suivi des jeunes majeurs en maintenant un éducateur référent entre 18 et 21 ans ;
– restreindre l’utilisation du fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) à des fins d’enquête administrative pour les mineurs.
Source : Actualités du droit